Quelques jours avant la fête de l'Aïd al-Adha, Selma sortit sa nouvelle robe pour la montrer à sa grand-mère en disant :
- Comme je suis contente que tu sois venue passer l'Aïd al-Adha avec nous ! Dis-moi, grand-mère, que penses-tu de ma robe ? N'est-ce pas qu'elle est jolie ?
La grand-mère dit en riant :
- Quelle jolie robe !
Puis elle se tut, soudain plongée dans ses pensées.
- Qu'est-ce que tu as, grand-mère ? demanda Maher.
- Rien, Maher, répondit la grand-mère. Mais parler de l'Aïd m'a fait penser à une histoire qui m'est arrivée quand j'avais l'âge de Selma.
- Raconte, grand-mère, raconte ! s'exclamèrent en chœur Maher et Selma.
Et la grand-mère raconta :
" J'avais sept ans. Un jour, comme j'aidais ma mère, une Bédouine vint nous proposer d'acheter un agneau que nous pourrions élever pour le sacrifier le jour de l'Aïd.
Je m'approchai de l'agneau et je me mis à jouer avec. Comme j'étais contente quand ma mère a décidé de l'acheter !
J'emmenais l'agneau promener dans la campagne, je le décorais de fleurs, je lui racontais mes secrets.
Un jour, j'entendis ma mère et ma tante parler en désignant mon mouton du " mouton de l'Aïd ", et discuter de comment elles allaient le faire cuire. Pour la première fois, je compris alors ce que cela voulait dire, que mon mouton soit " le mouton de l'Aïd " !
Le cœur lourd, j'emmenai le mouton brouter l'herbe. Il ne savait pas ce qui l'attendait, il sautait ici et là en bêlant : " Bêê… bêê… "
À ce moment-là, je décidai d'essayer de sauver mon ami. Je l'emmenai à une grotte que j'étais la seule à connaître, je l'y attachai et je repartis à la maison.
Ma mère me demanda où était le mouton et je dis qu'il s'était perdu. Ma mère s'écria :
- Le mouton de l'Aïd s'est perdu ! Comment cela ? Mais il était avec toi, Fatoum ! Dis-moi où il est ! Où ?
Je baissai la tête et je refusai de répondre.
Mes frères cherchèrent longtemps, longtemps… mais sans le trouver.
Mon grand-père (que Dieu ait son âme) m'aimait beaucoup. Je courus me cacher près de lui en pleurant et en disant :
- Pourquoi devons-nous sacrifier le mouton, grand-père ? Pourquoi ?
Il me prit dans ses bras et me dit doucement :
- Te rappelles-tu l'histoire de notre prophète Ibrahim (la paix soit sur lui) ? Comment l'ange Gabriel lui a donné un mouton à sacrifier à la place de son fils Ismaïl ?
Je hochai la tête, tout en continuant à pleurer.
Mon grand-père poursuivit :
- Le jour de l'Aïd al-Adha, ma chérie, tous les musulmans sacrifient un mouton comme l'a fait Ibrahim (la paix soit sur lui). Ils distribuent une partie de la viande aux pauvres, puis les familles se rassemblent autour du repas pour fêter l'Aïd.
Je répondis en pleurant :
- Oui… oui… Mais si tu savais, grand-père, comme j'aime ce petit mouton ! Il est devenu mon ami. Je t'en prie, aide-moi, grand-père !
- Que Dieu nous pardonne ! s'exclama mon grand-père. Les adultes n'auraient pas dû laisser une petite fille comme toi s'attacher au mouton de l'Aïd ! Allez, sèche tes larmes, ma petite, je vais essayer de t'aider… Mais attention Fatoum : ne t'attache plus jamais au mouton de l'Aïd !
- Promis, grand-père, promis ! répondis-je.
Mon grand-père se tut un instant, puis il appela ma mère et lui demanda :
- Que penses-tu, ma fille, si nous élevions " l'agneau de Fatoum " pour avoir un troupeau qui nous donnerait du lait ?
Ma mère commença par protester, puis elle finit par accepter.
Mon grand-père se tourna vers moi et me dit :
- Sèche tes larmes, petite Fatoum, et passe-moi ma bourse qui est dans mon coffre, pour que je donne à ta mère de quoi nous acheter un autre mouton pour l'Aïd.
Toute joyeuse, je couvris mon grand-père de baisers en disant :
- Promis, grand-père ! Promis, je ne m'attacherai plus au mouton de l'Aïd !
Le matin de l'Aïd, je mis ma robe neuve, je jouai avec mes frères, je mangeai des bonbons. Comme d'habitude, le repas de l'Aïd fut somptueux ! Ce fut, mes chers enfants, une fête que je n'oublierai jamais. "
- Et qu'est devenu ton petit mouton, grand-mère ? demanda Maher.
La grand-mère répondit :
- Il a grandi, nous l'avons élevé avec d'autres et nous avons eu du lait et du fromage…
Selma dit à sa grand-mère en riant :
- Je ne savais pas, grand-mère, que tu étais si coquine quand tu étais petite !
La grand-mère répondit, les yeux brillants :
- Le vrai coquin, mes chéris, c'était votre père quand il était petit !
- Raconte, grand-mère, raconte ! s'écria Maher.
- Non, maman, non ! s'exclama Papa en riant.
- Mais si, je vais raconter ! dit la grand-mère en riant doucement.
Toute la famille se mit à rire, et s'apprêta à écouter le récit des bêtises du papa quand il était petit…